4 jours entre le refuge d’Aygues Cluse et Campana de Cloutou.
Ça commence avec un bon coup de neige juste avant le raid, on passe de « y’a pas de neige, qu’es ce qu’on fait ? » à « y’a trop de neige, qu’es ce qu’on fait ? ».
Le risque 4/5 sur l’échelle du risque d’avalanche fait un peu flipper… Pour autant en mettant le nez dehors le risque 4 généralisé à plusieurs secteurs est peu perceptible.
Effet de cette tendance à vouloir sûr sécuriser la montagne ? Effet des vacances scolaires ou les deux à la fois ? Dans tous les cas une chose est sûre : nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour réduire le risque.
Après une nuit dans la mythique Auberge Chez Gabrielle – Vallée de Lesponne nous rejoignons les hauteurs de la station de la Mongie grâce au vieux télésiège 2 places des 4 termes. De là nous passons par une sorte de boîte aux lettres dans la roche issue d’un raide couloir qui après quelques enjambées nous ouvre les portes d’une belle vallée plâtrée de blanc.
Ici se niche le nouveau refuge d’Aygues Cluses ouvert pour son premier hiver. Nous étions passés par là l’an dernier à la mi journée d’une journée dont nous avions oublié le jour suite à une perte de notion du temps, syndrome bien connu des raids à ski. Nous étions venus nous adosser à ce refuge à la porte close qui attendait quelques ajustements pour pouvoir ouvrir en hiver. Je m’étais alors juré d’y revenir dès que le refuge ouvrirait ses portes.
C’est chose faite, nous voilà accueillis au pied de la porte par les gardiens Lucie et Julien, deux grands passionnés de ski. Julien me montre ces dernières traces dans des couloirs vertigineux fait entre deux services. On est chaleureusement accueillis, en toute simplicité et convivialité.
Le lendemain est la journée clé du raid. Nous partons en direction du refuge Campana avec du vent et peu de visibilité. Mon portable a pris l’eau la veille dans le refuge et il finit par me lâcher quelques minutes après l’avoir quitté. Je n’ai donc plus accès à mon application GPS.
En quelques azimuts et cols passés dans le mauvais temps, nous apercevons au loin le Refuge Campana de Cloutou déposé comme sur un nuage blanc sans aucune trace de vie autour. Depuis notre dernier col les nuages se déchirent pour nous offrir de magnifiques lumières : les portes de la vallée s’ouvrent. Nous voilà donc prêt à rejoindre le confort de notre prochain refuge sous un soleil hésitant. Nous sommes seuls dans la montagne, sensation de liberté pour tout le monde, ça nous rapproche.
Le beau Philippe nous attend de pied ferme. Il est seul depuis quelques jours, son aide gardien ayant décidé de ne pas monter à cause du risque d’avalanche annoncé. Ici c’est la vraie vie de refuge : tout le monde met la main à la pâte pour préparer le repas du soir. On a conscience que c’est une chance d’avoir un refuge isolé et gardé en plein hiver. C’est précieux et fragile à la fois. Avec les conditions particulières de cet hiver, difficile pour les gardiens de vivre dignement de leur passion.
Le troisième jour la neige s’invite franchement à la fête, nous allons skier à l’abri des pins à crochés à proximité du refuge.
Il règne dans mon groupe une superbe ambiance, je me sens chanceux d’avoir ces belles âmes avec moi. Il y a Théo et Léo, jeune couple de trentenaires originaires des Alpes et curieux des Pyrénées. Toujours avec le gros smile, hyper attentifs aux uns et aux autres, deux pépites qui me suivent depuis plusieurs années. Il y a aussi Manu et son beau père Gérard, pareil deux pépites d’humeur très joyeuse. Gérard est un ancien dentiste et passionné de photographie. Fatigué par un système de santé usant, il a tout plaqué pour se consacrer à la médecine Chinoise. C’est le doyen du groupe. Aurore est originaire d’Ariège, psychologue dans un hôpital, elle est aux premières loges d’un système de santé qui est aussi d’après elle en plein déclin. Elle est comme un poisson dans l’eau pour son premier raid à ski. Et enfin il y a Florence, skieuse bien expérimentée avec qui le courant passe à merveille.
Nous passons une deuxième et tranquille soirée aux côtés de Philippe, avec aussi la présence de 4 autres montagnards aguerris Toulousains. Philippe est inquiet car il manque 4 jeunes à l’appel. À 19h nous appelons les CRS. Après vérification, leur voiture n’est pas sur le parking et le bornage de leur téléphone les localisent sur Bagnères-de-Bigorre même. Nous voilà rassurés prêts à dormir tranquilles.
À 22h le téléphone sonne avec à l’autre bout du fil nos 4 jeunes perdus quelque par dans la montagne à la recherche du refuge. Dehors il fait froid et il neige à flot… Nous arrivons à les localiser en leur demandant leur coordonnées GPS. Avec Philippe et un montagnard aguerri, Benjamin, nous quittons en trombe le refuge comme des chevaliers maladroits avec masques de ski et frontales sur la tête.
Nous les rejoignons rapidement grâce au gps et leur frontale allumée. Partis à 11h du matin ils sont au bout de leurs forces. Un des 4 est dans un état d’hypothermie avancé et une autre est boitante avec une vive douleur à l’adducteur. Nous leur donnons des vêtements, boisson chaude et quelques victuailles. Sans pour autant s’éterniser car le temps ne se prête vraiment pas à la conversation.
Une fois le refuge atteins non sans difficulté, on se regroupe autour du poêle à bois qui tourne à plein régime. Comment ont-ils pu se mettre dans une telle situation ? Certainement à cause d’un départ trop tard, une météo très mauvaise, une méconnaissance de de cet environnement en hiver, pas de carte IGN mais seulement une montre GPS avec une trace d’été à suivre. Une trace qui ne correspond absolument pas à la réalité du terrain en hiver. On débrief sur leurs erreurs qui ont mobilisées du monde (gendarmerie, CRS, gardien, et nous autres).
Rien ne sert d’être trop moraliste car des conneries de débutant on en a tous fait et moi le premier. Ça me rappelle cette fois où avec mes potes de lycée, à peine âgés de 16ans nous étions partis sur deux jours pour grimper le Mt Vallier. Nous étions les rois sur cette montagne mythique du Couseran. Après une nuit bien arrosée au refuge des Estagnous, à ce moment là non gardé, nous étions montés très tranquillement au sommet. De là nous avions flâné à fumer pas que des cigarettes et à rêver avec le spectacle des nuages. Au moment de quitter le sommet (bien tard dans la journée) on s’était fait piéger par le brouillard puis la nuit puis la neige. Au final nous nous étions recroquevillés tous les 5 entourés d’une couverture de survie, les uns collés aux autres, à passer une des nuits les plus froides que j’ai connu. Au matin, quelle ne fut pas notre surprise de constater que nous avions passé la nuit à 20m d’une cabane ouverte avec gaz, nourriture et couvertures ! Beaucoup de monde mobilisés pour nous retrouver, on a beaucoup appris…
Bref. Retour à Campana : après une nuit plus ou moins réparatrice on se retrouve tous au petit déj. Après plusieurs appels avec les CRS on convient de faire monter l’hélicoptère pour évacuer deux des quatre jeunes boitant et encore choqués de leur aventure de la veille. Une légère accalmie dans la tempête et 15min après voilà Choucas 65 qui apparaît dans les airs. Nous redescendons les deux autres jeunes avec nous au village d’Artigues. Il s’agit à la base d’une descente banale dans la vallée sauf que là nous devons tracer dans de gros volumes de neige fraîche avec les précautions qui vont avec. Ça nous prend beaucoup de temps.
Nous retrouvons enfin la route avec l’impression d’avoir vécu un long et sacré voyage. Nous prenons un thé d’adieux à Bagnères-de-Bigorre avec toujours cette même émotion propre aux déconnexions que nous vivons là haut. Nous sommes partis seulement 4 jours.
Un grand merci à mes compagnons pour ce raid. Merci aux gardiens Philippe Braud, Julien et Lucie pour leur professionnalisme.